Chicago, époque du grand Al C.
22 h, il faisait nuit noire, avec ce même temps de chien que tous les jours, comme si cette eau qui tombait continuellement était un acte du destin pour nettoyer la raclure qui infestait les rues … Je marchais d’un pas décidé vers le Bodegone, antagonisme de luxe apparent, cachant la laideur de ses propriétaires, et la misère de la majorité des habitants de la ville. Sur mon chemin toujours les mêmes déchets, implorant ma pitié. Sans leur jeter le moindre regard, je continue ma route, je dois chanter à 23h.
Enfin le voilà, le Bodegone, avec toujours cette affiche avec ma tête dessus « Venez écouter notre Diva tous les soirs », à chaque fois que je la voyais j’avais envie de vomir !
J’entre. Toujours les mêmes têtes de benêts, les regards de ces ahuris se braquent sur moi, regardant mon décolleté ou mes jambes qu’on apercevait au travers de ma robe noire fendue. Tout une bande de bandits d‘opérette, attirés par des petits verts, pour lesquels ils feraient vraiment n’importe quoi. Ils peuvent toujours être utile …
C’est alors que le propriétaire de cet endroit s’avance vers moi avec un air énervé. C’était un petit gros quelconque, avec une moustache ridicule, les joues toujours rougies par l’alcool.
« - Mlle Djinael, vous enfin, j’ai eu peur qu’il vous étiez arrivé quelque chose ! j’en aurai été effaré. Dépêchez vous vous chantez dans 15 min !
- Mr Puppet, ne vous en faites pas pour moi, je serai prête »
Sans perdre une minute de plus je me rendis à ma loge. La maquilleuse m’attendait. Une jolie blonde, donc le physique compensait l’intelligence réduite. Sa plus grande qualité était de pouvoir obtenir toutes les infos qu’elle voulait auprès d’un homme.
23 h, je montais sur scène, le pianiste commençait à jouer. Au fil du temps une certaine complicité était née entre lui et moi. C’est lui qui m’a intégré dans le milieu quand je suis arrivé en ville. Un des rares hommes que j’estime un tant soit peu. Il jouait merveilleusement bien, pour ça que tout le monde le surnommait Magic. Monter sur scène, accompagnée de ces notes avait quelque chose d‘envoutant. Durant l’espace d’un instant, j’avais l’impression d’être ailleurs, sur une terre plus hospitalière. Tout doucement ma voix se mélait à la mélodie, captivant l’attention du public. Dès que j’avais ouvert la bouche, les ragôts s’arrêtaient, tous restaient suspendues à mes lèvres … Enfin c’est l’impression que j’avais, en réalité c’était sûrement plus mes formes ou la menace des sbires de Puppet qui les poussaient à se taire. Quoi qu’il en soit rien ne venait troubler ma représentation, qui se terminait sous un tonnerre d’applaudissement (et de sifflets …). J’étais connue ici, et apprécié par beaucoup (trop ?) d‘hommes … Au début, ils paraissaient surpris que ce ne soit pas réciproque … Maintenant seuls quelque jeunots ayant trop poussé sur l’alcool frelaté tentaient parfois des manœuvres d’approche des plus grossières. Un regard, et les hommes de Puppet intervenaient. De vrais pro eux par contre. Tellement pro, que j’ai l’impression de les laisser indifférents, je sais à l’avance qui si un jour je devais me retrouver en face d’eux, du mauvais côté, je risquai de passer un très mauvais moment. Mais ne précipitons pas les choses, à l’heure actuelle, ils sont toujours de mon côté … Tant qu’IL ne se montrera pas, la situation ne pourra pas se débloquer…